Les débuts du thé en Afrique : l’héritage colonial
L’histoire du thé en Afrique est relativement récente comparée à celle de l’Asie, berceau millénaire de cette boisson. L’introduction du thé sur le continent africain remonte à la fin du XIXe siècle, débutant d’abord en Afrique du Sud, où les Anglais développèrent sa culture pour s’assurer de nouvelles sources d’approvisionnement. Cette expansion s’inscrivait dans une stratégie plus large des puissances coloniales cherchant à diversifier leurs sources d’approvisionnement face à une demande occidentale en constante augmentation.
Le Malawi : pionnier de la culture du thé en Afrique
Les plantations de thé les plus anciennes d’Afrique se trouvent au Malawi, où le thé a été introduit au XIXe siècle par des personnes qui avaient échoué à cultiver le café au Sri Lanka. Malgré une production aujourd’hui marginale eu égard aux quantités mondiales, le Malawi est la plus ancienne des nations théières du continent. Le premier théier y fut planté en 1886. Ce pays est donc le véritable pionnier de la théiculture africaine. L’Ethiopie, terre mere du Café, à lire.
Après le coton, le thé est devenu la principale culture d’exploitation du Malawi. Les premières plantations ont vu le jour en 1878 et se sont étendues progressivement aux régions de Malanje et de Thyolo. Les thés du Malawi se distinguent par leur couleur pourpre caractéristique et leurs saveurs boisées avec des notes légèrement épicées.
L’expansion vers d’autres territoires africains
Suite à ces premières expériences, la culture du thé s’est progressivement étendue à d’autres régions du continent :
Le Kenya : la success story africaine
Le développement du thé en Afrique eut le plus de succès au Kenya. L’histoire du thé kenyan démarre avec l’introduction de la culture théière par les Britanniques en 1903. Les premières graines importées d’Inde furent plantées, ce qui permit la commercialisation du thé dès 1924.
L’histoire du thé au Kenya est intimement liée à l’histoire coloniale puis post-coloniale du pays. Au cours des années 1950, la culture de thé kenyan fut intégrée au plan Swynnerton. Ce projet, décidé par les colons britanniques, était destiné à accroître la productivité agricole kenyane en développant les cultures de rente. Les populations indigènes kenyanes étaient alors bannies par la loi de produire elles-mêmes du thé.
Ce n’est qu’après l’indépendance du pays en 1963 que cette injustice fut réparée. Suite à l’indépendance, cette loi fut abolie et les Kenyans créèrent la Kenya Tea Development Agency (KTDA), qui avait pour but de promouvoir la culture du thé par de petites exploitations. La culture théière fut ainsi utilisée comme vecteur de développement économique.
Cette stratégie s’est avérée extrêmement efficace. Le Kenya est devenu le plus grand producteur de thé en Afrique et un des plus grands exportateurs au monde, essentiellement parce que la Chine et l’Inde boivent une grande partie de leur production tandis que ce pays exporte la majorité de sa production. En 2011, plus de 50% du thé importé au Royaume-Uni provenait du Kenya.
L’Afrique du Sud et ses particularités
L’Afrique du Sud fut l’un des premiers pays à avoir fait pousser du thé sur le continent, tout d’abord dans le très connu jardin de Kwazulu, dès 1877. C’est d’ailleurs toujours dans ce jardin que sont produits les meilleurs thés du pays.
Bien que sa production de Camellia sinensis reste modeste, l’Afrique du Sud est mondialement reconnue pour une autre spécialité : L’Afrique du Sud est le producteur exclusif du rooibos, une boisson que les populations locales consomment depuis plusieurs siècles et qui est préparée à partir d’une plante (Aspalathus linearis) issue de la famille des légumineuses.
Les autres pionniers africains
D’autres pays africains ont également joué un rôle dans cette histoire :
Le Cameroun fut précurseur de la culture du thé en Afrique, initiée par les allemands depuis 1884. Le climat idéal du sud-ouest s’y prêtait particulièrement, notamment au pied du Mont Cameroun. Les jardins de Djuttitsa et N’du produisent des thés orthodoxes de belle facture, à plus de 2000 mètres d’altitude.
La Tanzanie, sous impulsion allemande également, développa des plantations qui bénéficient aujourd’hui d’une altitude exceptionnelle et de conditions climatiques idéales au pied du Kilimandjaro et dans les montagnes d’Usambara.
La révolution post-indépendance
L’indépendance des nations africaines dans la seconde moitié du XXe siècle marqua un tournant majeur dans l’histoire du thé africain. De culture imposée par les puissances coloniales, le thé est devenu un moteur de développement économique pour de nombreux pays.
Au Kenya, par exemple, la création de la KTDA a permis de transformer le secteur en impliquant directement les petits producteurs locaux. En 2000, la KTDA a été privatisée. Elle appartient aujourd’hui aux industries locales qui elles-mêmes appartiennent aux petits planteurs. Le thé compte pour 22% des exportations en valeur et 4% du PIB kenyan.
Un secteur en pleine expansion
Aujourd’hui 3ème producteur mondial notamment grâce au Kenya, le continent africain est incontestablement l’un des acteurs essentiels sur le marché du thé. En effet, plus d’une dizaine de pays africains produisent du thé.
La production africaine de thé a augmenté de 10% entre 2014 et 2016, tandis que la consommation sur le continent se développait en parallèle. Cette croissance s’explique par plusieurs facteurs :
- Des conditions climatiques et géographiques idéales pour la culture du théier
- Une main-d’œuvre qualifiée et des savoir-faire développés sur plusieurs générations
- Des politiques agricoles favorisant le développement de la filière
- Une demande mondiale en constante augmentation
De la quantité à la qualité : l’évolution du thé africain
Historiquement, la production africaine s’est concentrée sur les thés CTC (Crushing-Tearing-Curling), un procédé mécanique qui transforme la feuille en petites perles destinées principalement aux sachets de thé. Avec un rendement extrêmement élevé (près de 2 tonnes l’hectare alors que la Chine atteint à peine 0,7 tonne l’hectare), la production africaine est en grande partie consacrée au thé noir.
Cependant, une évolution majeure s’est produite ces dernières décennies : Avec le développement du marché des thés de spécialité, certains pays comme le Kenya, le Malawi et le Rwanda se sont tournés vers une production de thés de qualité avec des méthodes de transformation orthodoxes (qui donnent des thés en feuilles entières ou brisées) aux côtés des CTC.
Cette montée en gamme permet aux producteurs africains de se positionner sur des marchés à plus forte valeur ajoutée et de mettre en valeur les qualités exceptionnelles des terroirs africains.
L’héritage culturel : les traditions du thé en Afrique
Bien que relativement récente, la culture du thé a donné naissance à de riches traditions sur le continent africain. L’exemple le plus emblématique est sans doute le thé à la menthe d’Afrique du Nord, et particulièrement du Maroc.
La Mauritanie incarne tout l’art du thé à la menthe, très apprécié en Afrique. On le déguste en trois fois, de petits verres d’un thé vert de Chine plutôt fort, à la menthe et assez sucré. Lors de la cérémonie, on s’applique à le faire mousser le plus possible, en versant le thé d’un verre à l’autre plusieurs fois tout en le levant très haut dans les airs.
Cette tradition s’est répandue à travers toute l’Afrique du Nord et constitue aujourd’hui un patrimoine culturel immatériel important dans la région.
Les défis et perspectives du thé africain
Aujourd’hui, le secteur du thé africain fait face à plusieurs défis majeurs :
- Le changement climatique : L’augmentation des températures et les modifications des régimes de précipitations affectent les zones traditionnelles de culture.
- La concurrence internationale : Les producteurs africains doivent se démarquer face aux géants asiatiques que sont la Chine et l’Inde.
- Les questions sociales : L’amélioration des conditions de travail et de rémunération des cueilleurs reste un enjeu crucial.
- La durabilité environnementale : Le développement de méthodes de culture plus respectueuses de l’environnement devient une nécessité.
Malgré ces défis, les perspectives pour le thé africain sont prometteuses. La demande mondiale continue de croître, et les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’origine et à la qualité des produits. Les terroirs africains, avec leurs caractéristiques uniques, ont tous les atouts pour séduire les amateurs de thé du monde entier.
Vers une reconnaissance mondiale
Le thé africain a longtemps souffert d’un manque de reconnaissance sur la scène internationale, souvent considéré comme un produit de moindre qualité destiné aux mélanges bon marché. Cette perception est en train de changer radicalement.
Aujourd’hui, des initiatives comme les Afrik Tea & Coffee contribuent à mettre en lumière l’excellence des productions africaines. Des jardins comme Marynin au Kenya, Satemwa au Malawi ou Rwanda Mountain Tea au Rwanda produisent des thés qui rivalisent avec les meilleurs jardins asiatiques.